Les mythes et histoires entourant nos danses sont indissociables de l’histoire de nos cérémonies. Cependant, il convient de ne pas confondre « mythe » et « fausseté ». Les gens ne peuvent pas comprendre les mythes s’ils essaient d’associer des dates aux événements ou s’ils ressentent le besoin que quelqu’un leur prouve que les événements ont littéralement eu lieu. Tous les mythes anciens sont vrais. Ils ont tous commencé quelque part à une époque lointaine. Les mythes, à leur manière particulière, transmettent des vérités au sujet de nos origines, de notre place dans le monde et de la façon dont nous devrions mener nos vies.
Toute culture humaine a ses mythes. Cependant, contrairement à d’autres peuples dans le monde, nous n’avons pas oublié les nôtres.
Dans la culture kwakwaka’wakw, chaque famille perpétue des histoires qui déterminent quelles danses nous pouvons exécuter, la manière dont nous les présentons, les types de chansons que nous chantons et les personnes habilitées à accomplir les rites. Ces histoires nous relient à l’époque où ces cérémonies ont pris forme. C’est pourquoi nous devons les raconter chaque fois que nos danseurs s’apprêtent à entrer en piste.
Pendant que vous lisez cet essai, vous devez comprendre que nos histoires, nos chants et nos danses sont des trésors familiaux transmis de génération en génération, qui sont aussi précieux pour nous que le sont l’or ou l’argent pour les Canadiens d’origines européennes. C’est pourquoi nous racontons nos histoires. D’abord, les conteurs les transmettent aux enfants. Par la suite, le fait de les raconter établit publiquement les droits de chaque famille sur l’histoire, la chanson ou la danse.
N’importe qui ne peut pas raconter une histoire, interpréter une chanson ou exécuter une danse. Nous devons respecter les familles auxquelles ces trésors appartiennent. Pour cette raison, je ferai de même ici. Avant d’aller plus loin, je vais vous parler des Kwakwaka’wakw, de ma communauté, de moi-même et de notre histoire. Conformément à nos us et coutumes, ce récit établira mon droit de partager des informations sur notre culture.
Ma tribu est celle des ’Namgis, une branche des Kwakwaka’wakw qui vit dans la baie Alert et dans la vallée de Nimpkish, en Colombie-Britannique. Mes Aînés ont déménagé sur l’île Cormorant, dans la baie Alert, pour travailler dans un atelier de salage de poisson euro-canadienne. Les ’Namgis forment la troisième plus grande nation parmi les tribus kwakwaka’wakw. Le nom ’Namgis est dérivé de celui de ’Namxiyalegiyu, un monstre marin qui a sauvé un des ancêtres de ma tribu du grand déluge.
Je suis né en 1967 de William Wasden Sr. et de Janet (née Hunt). J’ai appris le chant et la culture kwakwaka’wakw du chef Hiwakalis Tom Willie et de sa femme Elsie de la tribu Gwawa’enuxw de Hopetown, en Colombie-Britannique.
Aujourd’hui, je travaille en tant que chercheur au Centre culturel U’mista, où j’étudie et transmets mes connaissances sur ma culture à mes proches et, bien sûr, à vous.
En 1884, le gouvernement canadien a interdit la tenue du potlatch, une célébration si importante que son interdiction a presque supprimé notre droit d’exister en tant que peuple.
Le mot « potlatch » vient de la langue chinook et a toujours voulu dire « donner ». En kwak’wala, le mot pour cette cérémonie est « p’asa », mais peu de gens l’utilisent.
Tous les participants à un potlatch recevaient des cadeaux. Ces cadeaux étaient remis pour souligner l’histoire et les droits des familles. Le potlatch était ponctué de festins, de danses, de discours et de prestations théâtrales.
L’Acte des Sauvages modifié en 1895 stipulait : « Tout sauvage ou autre individu qui prendra part ou aidera à la célébration, ou encouragera directement ou indirectement quelqu’un à faire la célébration d’une fête, danse ou autre cérémonie indienne (…) dont l’un des traits ou caractères consiste à mutiler ou blesser le corps (…) d’un être humain ou d’un animal, sera coupable d’une infraction poursuivable par voie de mise en accusation et passible d’un emprisonnement (…).»
Le texte qui suit est un extrait d’une lettre que l’un de mes parents, Wawip’igesu, le chef de la tribu des ’Namgis, a envoyée au gouvernement canadien en 1914 au nom de sa tribu.
Autrefois, il n’y avait pas de rivières pour que les poissons reviennent et fraient. Il y avait un homme connu sous le nom d’Umeł (le « Corbeau mythique »). Umeł était celui qui connaissait l’endroit où trouver de l’eau. Par conséquent, il a emprunté une vessie de lion de mer et l’a remplie d’eau. Puis il s’est promené pour chercher des endroits propices pour créer des rivières. Quand il a trouvé des endroits appropriés, il a fendu la vessie et a laissé couler une partie de l’eau. C’est ainsi qu’Umeł a créé toutes les rivières, afin que le saumon remonte les rivières de manière à ce que les gens puissent s’en nourrir. Ils pourraient ainsi l’attraper et le sécher, puis tenir des fêtes une fois rentrés dans leur village. C’est pourquoi nous voulons perpétuer nos fêtes.
Nos premiers ancêtres sont arrivés dans le monde sous forme d’animaux ou d’oiseaux. Ces créatures ont été transformées en personnes. Les choses que nos premiers ancêtres faisaient, c’est là ce que nous faisons encore aujourd’hui. Au début des temps, ces animaux et ces oiseaux avaient des danses. Ces danses sont comme nos cérémonies sacrées de l’écorce de cèdre rouge. Dans leurs danses, ils bougeaient différentes parties de leur corps. Ils dansaient ainsi pour que tous ceux qui les observaient puissent comprendre ce qu’ils faisaient. Umeł avait une danse appelée tuxw’id (danse du guerrier). Tout son corps était vêtu de branchages de buissons de cèdre. Nous voulons continuer à montrer cette danse. Toutes ces grandes histoires sont arrivées comme nos ancêtres nous les ont racontées. Elles ont eu lieu avant le grand déluge. Après le déluge, ces animaux et ces oiseaux ont été transformés en humains.
Ḵ’anikilaḵw (le « Transformateur ») a finalement vaincu un homme du nom de Gwanalalis. Ḵ’anikilaḵw lui a demandé la forme qu’il souhaitait prendre, pour l’éternité. Il lui a demandé : « Veux-tu devenir un grand cèdre? » Gwanalalis a répondu : « Non, parce que les cèdres tombent quand la foudre tombe. Puis ils pourrissent dans la terre. » Alors Ḵ’anikilaḵw lui a demandé s’il voulait devenir un rocher. Il a dit : « Non, car avec le temps, les rochers s’écroulent et deviennent des cailloux. » Puis il lui a demandé s’il voulait devenir une montagne. Gwanalalis a rétorqué : « Non. Parce qu’un morceau de moi pourrait se détacher, débouler et blesser quelqu’un. » Gwanalalis a ensuite réfléchi pendant un bon moment. Puis il a réalisé qu’il aimerait devenir une rivière. C’était là son souhait… être utile à son peuple dans l’avenir. Ḵ’anikilaḵw, qui avait entendu ses pensées, l’a alors poussé. Gwanalalis s’est alors transformé et est devenu la « rivière ’Namgis ». C’est pourquoi nous appelons la rivière Gwani et la revendiquons comme la nôtre.
Plus tard, un autre homme est venu à notre rivière. Il s’appelait ’Namukustolis. ’Namukustolis est le premier homme qui a vécu sur la colline appelée Xwalkw (la « Fondation »). Puis un autre homme est venu, nommé Kwanu’sila. Ce dernier était un oiseau-tonnerre. Il a retiré ses vêtements de plumes, puis les a laissés s’envoler vers les cieux d’où il venait. Il est ensuite demeuré humain. Puis est arrivé un autre homme nommé Xwaxwas. Il était un saumon arc-en-ciel. Umeł était le chef de tous ces premiers ancêtres.
Umeł a ramassé les plumes et les a attachées en paquets. Il a ensuite donné ces paquets à son peuple. Après cela, il a pris des peaux d’animaux comme le passereau, le vison, le raton laveur et le castor, et les a cousues pour en faire des couvertures. Alors il a invité les gens de son peuple à se rassembler et il leur a donné ces choses. (…) Il leur a donné des planches de cèdre, des pagaies, des coins et des tapis indiens. Il savait aussi que l’écorce de cèdre jaune était bonne pour faire des vêtements. Par conséquent, il a dit aux gens de son peuple de recueillir de l’écorce de cèdre jaune. Il leur a demandé de battre cette écorce avec un bâton pour l’attendrir. Finalement, il leur a dit d’en faire des vêtements. C’est pourquoi nous utilisons l’écorce de cèdre aujourd’hui, quand nous faisons des dons.
Au début des temps, nous avons obtenu le feu de la côte ouest. La côte ouest est sur l’île de Vancouver. Nous avons formé un homme connu sous le nom de Giwas (Cerf). Nous l’avons convaincu de se rendre sur la côte ouest pour aller chercher du feu. Nous avons préparé une torche en bois enduite de poix. Nous lui avons donné cette torche. Ainsi, quand il l’allumerait, la torche brûlerait longtemps. Il allait ainsi pouvoir nous la rapporter. C’est pourquoi nous aimons faire de grands feux lors de nos fêtes. Autrefois, les Indiens se spécialisaient dans différents types de travaux. Certains ont été formés pour fabriquer des canoës, d’autres pour chasser, d’autres pour attraper du poisson, d’autres pour sécher le poisson, et d’autres pour recueillir les matériaux nécessaires à la confection de nos vêtements. Nous partagions ces choses entre nous et parfois avec d’autres tribus. Cela a marqué le début de nos fêtes du don.
Dans les temps anciens, les seules choses qui comptaient étaient des choses comme la nourriture. Certains de nos aliments sont séchés : du poisson, des racines, des baies et des choses comme ça. Un chef rassemblait ce genre de denrées. Il les donnait ensuite à d’autres qui n’en avaient pas. Souvent, il appelait une autre tribu et en donnait aussi à cette tribu. Nous voulons poursuivre cette tradition.
Plus tard, un navire a accosté sur nos terres, avec quelques hommes blancs à bord. Nous ne savions pas ce qu’étaient ces hommes blancs, alors nous les avons appelés « Pupalipdzi ». Ils ont acheté nos fourrures. En échange, ils nous ont donné des couvertures, du tabac et bien d’autres choses. Nos chefs ont donné ces choses aux autres tribus. Nous avons perpétué cette coutume depuis.
Lorsque des fêtes sont données, on pense aux personnes restées à la maison. Ceux qui participent aux fêtes apportent des cadeaux à la maison pour leur femme et leurs enfants.
Voilà la signification de nos fêtes. Nous voulons les perpétuer aujourd’hui.
En 1951, 67 ans après l’interdiction, le gouvernement a décidé que la loi contre le potlatch était malvenue.
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