Il n’y a pas deux tambours identiques. Chacun a sa structure, sa vie et son esprit distincts, émanant à la fois de la culture dans laquelle il a été fabriqué et des mains de celui qui l’a fabriqué. Le joueur de tambour n’est pas seulement un créateur de musique. Il est aussi une voix pour l’âme qui réside dans la musique. Dans ce chapitre, nous explorons les nombreuses méthodes de fabrication de tambours et nous découvrons les nombreux autres instruments, notamment les flûtes, les violons et les hochets, qui ont joué un rôle essentiel dans la vie des peuples autochtones.
Culture
Les cultures autochtones entremêlent tambours, chants et danses à la trame politique et sociale de leurs sociétés. Pour des oreilles non habituées, les tambours et les chants autochtones peuvent tous se ressembler. Cela peut être dû au fait que les peuples autochtones, un peu partout au pays, utilisent plusieurs des mêmes ressources musicales, comme la combinaison d’une personne ou d’un groupe chantant la même mélodie en s’accompagnant d’instruments à percussion. Cependant, si les gens écoutent attentivement, ils découvriront que les chansons de danses sociales iroquoises sonnent différemment des chansons de danses de percussions innues. De même, les chansons des Salishes de la côte sont différentes de celles des Cris et des Siksikas. Ces expressions musicales sont aussi variées que les musiques folkloriques italiennes, irlandaises ou russes.
La grande diversité des peuples autochtones nous empêche de représenter ici toute la richesse des traditions autochtones canadiennes. La grande variété de géographies et de paysages de ce vaste pays a engendré un foisonnement de cultures différentes. Chaque communauté a appris à utiliser des matériaux locaux uniques pour confectionner des tambours, des hochets et d’autres instruments sonores. Les gens ont également bien compris le paysage sonore de leur environnement. La reproduction de ces sons naturels était une considération esthétique importante pour la confection d’un tambour ou d’un autre instrument.
Aperçu de différents styles
Les tambours les plus couramment utilisés aujourd’hui par les Premières Nations sont les tambours à cadre (de petits tambours à main pour une personne) et le grand tambour de pow-wow que les membres d’un groupe battent ensemble. Historiquement, on retrouve les tambours à cadre dans la plupart des régions et des cultures du pays. Parmi les exceptions, notons certaines cultures de la Côte Ouest (forêt pluviale boréale) et du nord de l’Arctique, ainsi que les nations iroquoiennes de l’est du Canada. Hormis ces exceptions, chaque groupe avait ses propres tambours et autres instruments à percussion.
Les lecteurs ne doivent pas considérer les zones délimitées sur la carte comme des frontières fixes.
Certaines cultures de la Côte Ouest (forêt pluviale boréale) n’ont adopté les tambours à cadres qu’assez récemment. La raison peut être purement pratique; les articles en peaux ou en cuir ne conservent pas bien leur tension ou ont tendance à se détériorer, dans les forêts boréales constamment humides. Au lieu de cela, les gens de ces régions utilisaient le cèdre rouge pour confectionner des tambours sous forme de planches, de bûches ou de caisses. Non seulement le cèdre est abondant dans ces régions, mais les gens des cultures de la Côte Nord-Ouest lui accordent une importance spirituelle considérable. C’est pourquoi, entre autres, les joueurs de tambour enveloppent leurs mains dans de l’écorce de cèdre lorsqu’ils s’exécutent. Les tambours étaient des objets culturels précieux, mais ce sont surtout certains hochets et sifflets qui revêtaient le plus de valeur, en raison de leur utilisation dans certaines cérémonies complexes.
Dans les Plaines
Dans les Plaines, on retrouve des tambours à main de nombreuses tailles, de 30 à 76 cm de diamètre. Ces tambours étaient généralement constitués d’une simple peau tendue sur un cadre en bois d’une hauteur de 5 à 7,5 cm. On confectionnait aussi parfois des tambours à deux têtes. Aussi, dans certaines cultures, comme celles des Nehiyaw-Cris, on confectionnait des tambours munis de collets à ajustement tonal tendus en travers des peaux.
On suppose qu’avant même que les gens utilisent des cadres en bois, les tambours consistaient en un morceau de cuir brut disposé par terre sur une petite cavité. Il se peut que d’autres personnes aient étiré des peaux le long de poteaux verticaux. Dans les deux cas, il n’y avait aucun résonateur. Les chanteurs et les batteurs, tous des hommes, s’asseyaient autour de ces peaux et les frappaient à l’aide de longues baguettes.
Aujourd’hui, le grand tambour le plus connu est le tambour de pow-wow. Ce dernier est généralement un tambour à deux têtes suspendu sur des poteaux ou placé sur une couverture. Il peut faire jusqu’à 2,5 m de diamètre. À l’origine, pour fabriquer ces tambours, les habitants des Plaines évidaient une grosse bûche, puis étendaient une peau de chevreuil au-dessus de la cavité. Cependant, certaines personnes étiraient du cuir brut sur d’autres objets, comme des cuves à laver, qu’ils utilisaient comme tambours.
On recense maintes histoires sur l’origine de ce type de tambours. Les gens disent généralement que ces tambours ont été donnés à leur peuple par une femme. Les Ojibwés racontent entre autres l’histoire d’une grand-mère lahota qui s’est cachée pendant quatre jours dans les fougères aquatiques pour se sauver des soldats américains. Ces fougères lui ont appris des chansons protectrices et lui ont montré comment fabriquer ce grand tambour. Elles lui ont dit de partir à la recherche de son peuple afin qu’elle puisse lui transmettre les chansons qu’elles lui avaient enseignées. C’est ce qu’elle a fait. La fois suivante, lorsque des soldats ont attaqué sa communauté, le son du tambour et les chants ont poussé les soldats à poser leurs armes et à danser.
Dans le centre du Canada
Traditionnellement, les Ojibwés et les Iroquois (Haudenosaunees) utilisent des tambours à eau dans certaines de leurs cérémonies. Les histoires et les enseignements liés aux tambours « Petit garçon » et « Grand-père » sont au cœur de la religion et de la vision du monde de la Société de la grande médecine (Midewiwin) des Ojibwés. Les Ojibwés et les Iroquois évidaient souvent des bûches pour confectionner des tambours à eau. Dans certains cas, ils utilisaient aussi des pots en argile ou des bouilloires en fer. De plus, les gens de ces cultures utilisaient de nombreux types de hochets. Par exemple, le « hochet tortue » fait partie des instruments de cérémonie les plus importants des Haudenosaunees.
Dans le volume de 1634 des Relations des jésuites, on décrit un tambour wendat.
« [Le Jeune dit que le tambour]… est de la grandeur d’un tambour de Basque; il est composé d’un cercle large de trois ou quatre doigts, et de deux peaux roidement estenduës de pari et d’autre; ils mettent dedans des petites pierres ou petits caillons pour faire plus de bruit : le diamètre des plus grands tambours est de deux palmes ou environ (NDT : environ 25 cm); ils le nomment chichigouan, et le verbe nipagahiman, signifie je fais joûer ce tambour. Ils ne le battent pas comme l’ont nos Europeans; mais ils le tournent et remuent, pour faire bruire les caillons qui sont dedans; ils en frappent la terre, tantost du bord, tantost quasi du plat. » Les premiers Européens décrivent aussi un tambour fabriqué avec une peau tendue sur une marmite ou une bouilloire, Et qu’une simple peau de castor sèche suffit souvent comme instrument au musicien. (Thwaites, 1959 : VII, 187.)
Alors que les Innus (Naskapi/Montagnais) utilisent un gros tambour muni de timbres, leurs voisins du sud, les Micmacs des Maritimes et les Malécites, ne mentionnent dans leurs mythes aucun instrument comportant une tête sertie de cuir. Ces derniers décrivent plutôt une flûte dans laquelle on souffle à l’extrémité et des percussions sur une planche ou un gros morceau d’écorce de bouleau plié : « Le dji.gemayen est un morceau d’écorce de bouleau plié une fois, tenu dans la main et battu avec un bâton. Ni l’écorce de bouleau ni le bâton ne sont confectionnés ou décorés avec soin; les deux sont jetés après avoir été utilisés. » (Johnson, 1943 : 63.)
Dans l’Arctique
Les tambours des peuples arctiques comportent de larges cadres légers, et les gens en jouent en frappant le bord plutôt que la peau. Ils utilisent une panoplie de matériaux, comme des peaux de cerfs, de caribous et de mouflons ou des intestins de baleines ou de morses. À l’origine, ils fabriquaient des cadres beaucoup plus petits à partir de fanons de baleines. Aujourd’hui, leurs tambours sont plus grands. Ils utilisent des cadres en bois, un matériau désormais facile à se procurer. Les baguettes sont faites de bois d’arbres ou d’animaux ou d’os.
Dans les années 1860 à 1862, le capitaine Charles Francis Hall a cherché des survivants de l’expédition arctique de Sir John Franklin. Il a revisité l’Arctique au cours des années 1864 à 1869 et il a décrit un tambour inuit :
« Le tambour est fabriqué à partir de peau de cerf ou de phoque, qui est tendue sur un cerceau en bois ou en os provenant de l’aileron d’une baleine à l’aide d’un solide cordon de tendon torsadé passé le long d’une rainure, à l’extérieur. Le cerceau fait environ 6 cm de large, 4 cm d’épaisseur et 90 cm de diamètre. L’instrument entier pèse environ 1,8 kg. La baguette de bois, qui mesure 25 cm de long et 7,5 cm de diamètre, est appelée kentun…
La tête de l’instrument est faite d’une peau de cerf, qui est maintenue congelée lorsqu’elle n’est pas utilisée. La peau est ensuite complètement saturée d’eau, passée sur le cerceau et fixée temporairement en place à l’aide d’un tendon. Un cordon de tendon épais et torsadé long d’environ 1,2 m est ensuite enroulé solidement le long de la rainure à l’extérieur du cerceau, de manière à fixer la peau en place. Ce cordon est attaché au manche du kilaut (tambour) qui est conçu pour tourner sous l’impulsion de plusieurs hommes (tandis que son autre extrémité est maintenue fermement), et le cordon est relâché au besoin. Pour ce faire, un homme est assis sur la plate-forme (de l’igloo). Un ou deux tours de cordon sont enroulés autour de son corps, enveloppé dans une peau de cerf garnie de fourrure et sertie de quatre tiges de bois verticales. On obtient la tension en utilisant un bâton de bois rond comme levier sur le bord de la peau, de manière à la tirer à partir du dessous du cordon. Lorsqu’on entend un bourdonnement, on glisse de petites poignées de poils de caribou entre la peau et le cerceau jusqu’à ce que la tête soit tendue à la façon d’un tambour.
Lorsqu’il joue du tambour, le musicien tient le manche de la main gauche et frappe le bord du cerceau opposé à celui sur lequel la peau est tendue. Il tient le tambour dans différentes positions, mais il exécute constamment un mouvement d’éventail à l’aide de sa main et de coups de kentun, en frappant alternativement les côtés opposés du bord. Tout en continuant habilement de faire vibrer le tambour sur le manche, il accompagne son jeu de… mouvements du corps, et, à certains intervalles, d’une chanson, pendant que les femmes continuent d’interpréter leurs propres chansons inuites, l’une après l’autre, pendant toute la représentation » (Hall, 1879 : II 96.)
Au cours du siècle dernier, le tissu et le nylon ont remplacé la peau comme matériau pour la confection des têtes de tambours inuits. Dans l’est et le centre de l’Arctique, la baguette peut être coussinée ou non. Parfois, les batteurs utilisent leurs poings au lieu d’une baguette. Parmi les Inuvialuits du delta du Mackenzie, plusieurs batteurs se produisent généralement à l’unisson tandis que les danseurs racontent des histoires par leurs chorégraphies. Les batteurs utilisent une baguette en bois non coussinée dont la longueur est supérieure au diamètre de la tête du tambour. Dans ces cas, les batteurs frappent le bord en bois des deux côtés par le dessous, tout en frappant régulièrement, et ils n’entrent en contact qu’avec la peau, lorsqu’ils souhaitent produire des battements vigoureux.
Dédicace
Ce chapitre est consacré à la présentation d’une vision traditionnelle et culturelle du tambour et de ses utilisations dans les nombreuses structures culturelles et socio-religieuses des sociétés autochtones du Canada. J’espère transmettre une vision traditionnelle, plutôt que de m’appuyer sur une approche strictement ethnographique. Je suis un musicien et interprète mohawk classique et traditionnel originaire de Kahnawake. J’ai tenté d’exposer certaines de mes expériences et opinions personnelles dans cet essai. Mon espoir est de partager ma vision du monde « holistique », qui est au cœur des sociétés et des cultures autochtones. Ici, je ne peux me concentrer que sur quelques exemples tirés de différentes cultures.
J’espère que quiconque se sent exclu comprendra et me pardonnera tel ou tel oubli. J’invite vivement les lecteurs à communiquer avec les groupes autochtones de leur région et à se renseigner sur le patrimoine culturel et musical varié, merveilleux et unique des Premiers Peuples du Canada.
Rohahes Iain Phillips